Ramuntcho by Pierre Loti

Ramuntcho by Pierre Loti

Auteur:Pierre Loti [Loti, Pierre (1850-1923)]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Calmann Lévy, Paris


XIX

Voici venir les longs crépuscules pâles de juin, un peu voilés comme ceux de mai, moins incertains cependant et plus tièdes encore. Dans les jardins, les lauriers-roses de pleine terre, qui commencent de fleurir à profusion, deviennent des gerbes magnifiquement rosées. A la fin de chaque journée de labeur, les bonnes gens s’asseyent dehors devant les portes, pour regarder la nuit tomber, — la nuit qui bientôt embrume et confond, sous les voûtes de platanes, leurs groupes assemblés pour de bienfaisants repos. Et de tranquilles mélancolies descendent sur les villages pendant ces interminables soirs.

Pour Ramuntcho, c’est l’époque où la contrebande devient un métier presque sans peine, avec des heures charmantes : marcher vers les sommets, à travers les nuages printaniers ; franchir des ravins, errer dans des régions de sources et de figuiers sauvages ; dormir, pour attendre l’heure convenue avec les carabiniers complices, sur des tapis de menthes et d’œillets... La bonne senteur des plantes imprégnait ses habits, sa veste jamais mise qui ne lui servait que d’oreiller ou de couverture ; — et Gracieuse quelquefois lui disait le soir : « Je sais la contrebande que vous avez faite la nuit dernière, car tu sens les menthes de la montagne au-dessus de Mendiazpi », — ou bien : « Tu sens les absinthes du marais de Subernoa ».

Elle, Gracieuse, regrettait le mois de Marie, les offices de la Vierge dans la nef parée de fleurs blanches. Par les crépuscules sans pluie, avec les sœurs et quelques « grandes » de leur classe, on allait s’asseoir sous le porche de l’église, contre le mur bas du cimetière d’où la vue plonge dans les vallées d’en dessous. Là, c’étaient des causeries, ou bien de ces jeux très enfantins, auxquels les nonnes se prêtent toujours si volontiers.

C’étaient aussi des méditations longues et étranges, quand on ne jouait pas et qu’on ne causait plus, des méditations auxquelles le déclin du jour, le voisinage de l’église, des tombes et de leurs fleurs, donnait bientôt une sérénité détachée des choses et comme affranchie de tout lien avec les sens. Dans ses premiers rêves mystiques de petite fille, — inspirés surtout par les rites pompeux du culte, par la voix des orgues, les bouquets blancs, les mille flammes des cierges, — c’étaient des images seulement qui lui apparaissaient, — il est vrai, de très rayonnantes images : autels qui posaient sur des nuées, tabernacles d’or où vibraient des musiques, et où venaient s’abattre de grands vols d’anges. Mais ces visions-là maintenant faisaient place à des idées : elle entrevoyait cette paix et ce suprême renoncement que donne la certitude d’une vie céleste ne devant jamais finir ; elle concevait d’une façon plus haute que jadis la mélancolique joie d’abandonner tout pour n’être qu’une partie impersonnelle de cet ensemble de nonnes blanches, ou bleues, ou noires, qui, des innombrables couvents de la terre, font monter vers le ciel une immense et perpétuelle intercession pour les péchés du monde...

Cependant, dès que la nuit était tombée tout à fait, le cours de ses pensées redescendait chaque soir fatalement vers les choses enivrantes et mortelles.



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